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SUR MICHELINE HACHETTE

Roland Sabatier

 
 

Au sein des vastes apports lettristes disséminés dans l'ensemble des disciplines culturelles — dont elle approuve l'intégralité des contenus — Micheline Hachette a choisi de ne s'exprimer pleinement, concrètement, à partir du tout début de l'année 1964, que dans les seules dimensions sonores et plastiques, n'intervenant qu'épisodiquement dans telle ou telle autre activité de ce mouvement.


Les premières réalisations plastiques de cette artiste sont des œuvres hypergraphiques, Petite restriction et Vocifération, où différents signes inventés, marqués par le géométrisme se complètent de notations latines et d'idéogrammes ; ces œuvres étaient publiées dans les numéros 2 et 3 de la revue Ur, parus en février et juin 1964.


La réduction du matériel à des contours rigoureux, anguleux, apparaît déjà comme une constante qui se confirmera dans une réalisation suivante, reproduite en septembre de la même année, dans Psi n° 1. Les lettres de l'alphabet latin déformées s'imbriquent les unes dans les autres pour remplir la surface à esthétiser sans le recours d’’aucun autre apport. Transposée à la peinture, cette manière caractéristique, reconnaissable, donnera Lettre à Guatimozin, qui figurait, en octobre 1964, à la galerie Stadler, dans l'exposition Lettrisme et Hypergraphie, avec Altmann, Brau, Dufrêne, Isou, Lemaître, Pomerand, Sabatier, Spacagna et  Wolman.


La ligne personnelle de Micheline Hachette dans l'hypergraphie était établie. Il lui suffisait, dès lors, de l'explorer. En 1966, ses structures se renforçaient, par l'isolement, dans des carrés, de ces mêmes signes, intensifiant en cela leur géométrisation. Cette nouvelle configuration formelle se verra, à partir de 196768, élargie par l'intégration de caractères notionnels, également réinterprétés, et à partir de 1971, anéantie, triturée, par un passage dans le rythme anéantissant de la polythanasie esthétique. Ces différentes étapes seront également envisagées dans plusieurs développements méca-esthétiques: la céramique, la sculpture, le fondement végétal, etc.


Sur le plan de l'art infinitésimal et de son support incessant, I'œuvre la plus accomplie, la plus vaste de cette artiste est L'Œuvre sup Sado-Masochiste établie à partir d'attitudes d'agressivité et de souffrances servant de notations à des expressions artistiques inconcevables. Différentes phases de cette réalisation sont reproduites dans L'Art corporel lettriste, de d’Isidore Isou, à la suite de l'interprétation de cette œuvre par son auteur, sur le parvis du Musée d'Art Moderne de Paris, le 23 avril 1976, dans le. cadre du Premier salon de la lettre et du signe. En 1992, cette artiste participera également à l’exposition de la Galerie de Paris consacrée à l’Excoordisme, puis, l’année suivante, à la Biennale de Venise dans Passaggio al oriente. Plus récemment, son oeuvre figurait dans Il Lettrismo al di là della « femminilitudine », organisée par AC Caron au Musée d’Art moderne d’Albisola, et dans Après la fin de l’art, en France, au Musée d’Art Moderne de Saint- Etienne.


Dans le lettrisme sonore, inscrit dans la poésie et la musique, les réalisations initiales de Micheline Hachette ont été publiées en 1966, dans un recueil intitulé Intervalle. Ces compositions, qui s'appuient sur la redéfinition géométrique de son matériel plastique, se manifestent par l'alternance de phonèmes isolés et de regroupements sonores denses, répétitifs, quasi monotones. Elles marquent la dimension auditive de la lettre par un cubisme ciselant. Poème cubiste sera d'ailleurs le titre d'une lettrie de 1967, constituée de lignes monolettriques superposées dans le dessin d'un carré en perspective.


Les œuvres regroupées en 1969 dans Lettries Acides développent cette expression dans un ciselant extrême, vers une concentration et un hermétisme exagérés, contribuant à dissoudre les particules sonores dans une débauche typographique. À partir de 1970, cette fois dans le cadre de l'esthapéirisme, Micheline Hachette composera, également, plusieurs œuvres, dont Poème infinitésimal amplique, qu'elle présentera, elle-même, au cours du Premier festival international d'art infinitésimal et supertemporel, et Six poèmes infinitésimaux, en 1976, fondés sur des ensembles visuels de la géométrie élémentaire.


Le cinéma, envisagé dans son expression transfinie et supertemporelle verra apparaître Micheline Hachette, en dès 1970, avec trois films, Aimer un être, Parce que et A propos de Nice, qui seront projetés pour la première fois à la Cinémathèque de Paris, le 5 mai 1970. La même année, dans le cadre du Premier Festival d'art infinitésimal et supertemporel, elle proposait Le Petit livre d'or de l'externité, une danse infinitésimale amplique.


Sur d’'autres plans, signalons la présence de cette artiste au cours de diverses actions mémorables du groupe lettriste, notamment à l'occasion du récital du Théâtre de l'Odéon, en janvier 1964, et de la représentation des œuvres chorégraphiques d'Isidore Isou et de Roland Sabatier, sur la scène de l'Ambigu en 1965.


Mais n'oublions pas, comme Isidore Isou le notait d'ans L'Art Corporel lettriste, en 1977, que Micheline Hachette reste « la première personnalité féminine du groupe lettriste, celle qui s'est montrée la plus résistante et la plus solide d'un mouvement d'avant-garde durable, exigeant une grande densité et un courage permanent des êtres décidés à combattre pour imposer les conceptions originales de cette tendance ».


Micheline Hachette est décédée en janvier 1993. Texte extrait de « Le Lettrisme Lettrisme: les créations et les créateurs », de Roland Sabatier, Z’Editions, Nice, 1989.